samedi 2 octobre 2010

Des Hommes et des Dieux


 
1.500.000 entrées déjà … Pourquoi, quelles sont les raisons de ce succès pour un film à contre courant des modes et tendances ?
Ce film à thème principalement religieux, catholique de surcroît alors que les médias nous ont inondés, ces derniers mois, de récits de pédophilie souvent vieux de plus de 20 ans commis par des ecclésiastiques.
Alors que régulièrement on associe catholicisme à ringardisme notamment au sujet des mœurs : préservatifs, contraception, avortement.
Alors que les églises se vident de plus en plus de leur fidèle.
Alors qui a fait courir tout à chacun vers les salles obscures pour y voir huit moines au cœur du drame algérien, face au terrorisme islamiste, s’interrogeant de savoir s’il faut partir ou rester ?
Un film au rythme inhabituel, d’une lenteur monastique "rythmes lents sous les rutilements du jour" comme l’a écrit Rimbaud, des vues très belles sur les montagnes environnantes illustrent cette phrase du poète.
Sans intrigue majeure avec une fin connue à l’avance.
Une musique classique ou psalmiste loin du déchaînement bruyant et sans nuances des rockers habituels mais, s’agissant des psaumes, qui n’est pas sans rappeler certains airs de Rap.
Pas d’intrigue amoureuse, seul l’ épanchement d’une jeune algérienne sur ses soucis amoureux auprès de frère Luc jette un regard discret vers la vie du monde extérieur .
Aucune intrigue policière, puisque nous demeurons dans l’ignorance des auteurs de l’enlèvement et des assassinats qui ont suivi ; seul une très belle image des moines s’enfonçant dans la neige et la brume de l’hiver algérien laisse ensuite libre cours à notre imagination pour concevoir ce que fût leur drame par la suite.
Alors qui a fait courir les foules voir ce film ?
Le succès obtenu au Festival de Cannes ? Mais ils sont nombreux ces films primés qui ont vidé les salles ?
Plusieurs raisons peuvent être avancées : une certaine overdose du bruit et de la fureur qui est bien souvent le lot des films en vogue. Le succès d’estime d’un film de 4 h "le Grand silence" sur les Chartreux qui portait bien son nom, était à cet égard prémonitoire.

La politique et l’économie ne sont , à mon avis, pas absentes de ce succès : face au déclin annoncé de nos économies européennes et au système de vases communicants avec les pays émergents. L’appauvrissement des uns faisant la "richesse" des autres fait que peut-être alors a-t-on envie de se réfugier ailleurs dans des valeurs plus authentiques que le consumérisme et la recherche à tout prix de la richesse matérielle qui désormais nous fuit.

La tolérance qui mène à un dialogue fructueux avec les musulmans dont le film par petites touches rend compte d’une façon admirable. Que ce soient les cérémonies musulmanes auxquelles les Pères assistent mais aussi, limite extrême, la poignée de main un instant retenue de Christian avec le chef terroriste que les moines, refusant le nom terroriste, dénomment "Frères des montagnes" dans le but de les distinguer sans acrimonie, tous étant en uniforme, des "Frères de la plaine" que sont les soldats des forces armées algériennes.
Ce dialogue inter religieux avec nos frères musulmans n’est pas nouveau, dans son livre "Passion pour l’Algérie" John Kiser rappelle la bonne entente qui existait entre l’émir Abd El Kader et Mgr Dupuch alors évêque d’Alger lors de l’insurrection contre la colonisation.

Enfin Il ne faut non plus sous estimer l’intérêt que portent les Français à l’Algérie, trop de liens nous ont unis, que ce soit les rapatriés mais aussi tous les jeunes dont j'étais ainsi que plusieurs moines de Thibirine qui ont été amenés à combattre l’armée de libération algérienne.
D’ailleurs ce n’est pas évoqué dans le film mais Christian de Chergé le père Abbé de Thibirine, lieutenant en Algérie a été sauvé de la mort par un Algérien, Mohammed, qui ensuite fut tué par la rébellion.

Autre raison de ce succès est la foi de ces hommes, pas une foi sectaire, sans doutes, mais remise en question : que faisons nous là ? est-ce utile ? Nous refusons le martyr pour le martyr mais pourquoi prendre ce risque ?
"Une foi qui ne doute pas est une foi morte" a dit le poète. Le risque religieux qui a fait tant de victimes est là : une foi sans remise en cause, sans interrogation balayant tout sur son passage pour devenir le siège de l’intolérance absolue.
A cet égard la main tendue du chef islamique à Christian est symbolique que tout n’est pas perdu, que l’espoir subsiste et que les moines s’ils devaient chercher une raison d’être là, ceci en est une ainsi que la réflexion d’une habitante de Thibirine inversant la phrase d’un moine lui disant qu’ils étaient comme des oiseaux sur la branche lui répondit "C’est vous la branche nous nous sommes les oiseaux".

Spectateurs, je ne pense pas que nous puissions sortir indemnes de ce film, trop de questions nous y sont posés : l’amour des autres , la solidarité, le détachement aux fausses valeurs de notre temps, la tolérance, la foi, le dialogue avec l’Islam.

Je ne ferais pas de parallèle avec des événements récents largement débattus dans les médias, trop facile, mais à n’en pas douter les spectateurs du film l’ont certainement fait.